SANS TITRE - INSTALLATION IN SITU - 08 1997
285 pièces en plâtre, coffrage en bois, néons gélatine rouge, ép. 22 x l. 185 x H. 196 cm
Exposition collective : « Artistes contemporains en l’Abbaye Saint-Jean », Invitée par l’association Les Bienniclarts, Sens, Yonne, 1997
En s’élevant à la hauteur de l’ensemble rosé, la mère de Dieu s’avance, auréolée de rose, elle porte sur son corps la croix où son fils est ou sera crucifié. Cette auréole de lumière électrique qui est à certaines heures rose et à d’autres rouge, se développe comme une extension de la Sainte Vierge. La croix délibérément pointe la tête du Christ vers cet ensemble ordonné, allégorie de l’humanité. Ainsi la sainteté perdue est retrouvée dans la vierge. La sainte matérielle reprend fondement dans le corps de la vierge, non pas comme « les vertus des petites soeurs des pauvres » comme aux dires de l’artiste, mais telle une sainte prostitution de l’âme. Devant un travail si ordonné, en ce lieu de l’Abbaye Saint Jean, le lieu de prière, comment ne pas faire référence aux textes bibliques ou à l’histoire de l’Art. Dans la crucifixion, de Mathias Grünewald retable d’Issenheim fermé, le corps du christ sacralisé par ses stigmates, sa plaie béante et sanglante comporte une analogie avec la puissante auréole que la vierge s’est constituée, ici, comme une traînée de corps de femmes réduites matériellement à l’objet et à la fonction sexuelle comme promesse de vie, chaleur maternelle et volupté toute spirituelle. Le seul homme présent est la toute petite image du Christ tentant de s’échapper des mains de sa mère vers ces formes impubères et pourtant si mûres pour perpétuer, peut-être, le mystère de la passion. Chacune des pièces semble égaler la vierge en vitalité. Mais celle-ci tient le christ en son sein, et c’est alors un fils ou un amant bien libertin qu’elle tente de retenir de tout son amour. Allégorie de la rédemption ou petite mort rachetant l’humanité. Ces sculptures mi-abstraites, mi-figuratives qui tiendraient dans le creux d’une main, sont si douces au touché que, paradoxalement, elles sont vierges de ne pas être à la portée du spectateur, au contraire du statuaire de la vierge. Ces auréoles de rose peuvent être aussi bien la couleur de l’intimité féminine ou la nudité masculine la plus dévoilée. La multitude de sculptures est issue autant du sexe féminin, que du sexe masculin que de l’Icône Byzantine, tout autant par leurs formes allongées et statiques que par leurs lignes creusées et sensuellement arrondies. Corolles roses tendre de l’intimité féminine et parfois selon les caprices du soleil, rouge comme le fer incandescent de la passion dévoilée. Ici, la nudité des objets est moins montrée, présentée qu’ exposée et exhibée. Exposées, car elles sont disposées en ordre, dans ce lieu public pour permettre de les voir ; exhibées car elles affichent ce qui devrait être caché. C’est d’érotisme dont on doit parler puisque tout semble tendre à dire, à décrire, pour laisser entrevoir, croire que... L’érotisme sera l’acceptation du désir inassouvi telle la face cachée de la fente où émerge cette luminosité. Comme les dents d’une même bouche, ces sculptures de plâtre blanc multipliées sont autant de corps, de sexes ne sacrifiant que leur intime beauté. Le spectateur a la conscience immolée devant toutes ces allégories de l’amour réduit à l’objet sur un panneau blanc épais comme un matelas. Celui-ci, par le jeu de son propre regard est pris en flagrant délit d’érotisme public, cependant porté à son archétype puisque qu’il y a autant de voyeurs que de spectateurs. Cet ensemble variera selon l’intensité de la lumière du soleil comme n’importe quels vitraux : Sainte Chapelle des temps modernes.
Philippe Chaudrin